Bibliographie
Michel Thévoz, « La scène primitive », in Côme Fabre (dir.), Charles Gleyre (1806-1874). Le romantique repenti, cat. exp. Paris, Musée d’Orsay, Paris, Hazan, 2016, p. 16-25 et n° 93.
Dominique Radrizzani (dir.), L’attrait du trait. Dessins anciens et modernes de la collection, Les Cahiers du Musée des Beaux-Arts de Lausanne no 11, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, 2001, n° 25.
William Hauptman, Charles Gleyre 1806-1874. I Life and Works. II Catalogue raisonné, Princeton/N.J., Princeton University Press, Zurich, Institut suisse pour l’étude de l’art, 1996, n° 532
Gleyre demeura célibataire et n’eut pas de compagne. Son rapport à la femme est celui d’un refus du contact physique, dont le contrepoint est une obsession du corps dénudé qui trouve à s’exprimer dans sa peinture d’histoire. Sa première grande toile, Les brigands romains (1831, Paris, Musée du Louvre), met en scène un viol commis en plein jour. La crudité de ce sujet moderne ne se retrouvera plus après sa période romantique. Pour autant, le corps féminin ne disparaît pas. Telle une arrière-pensée lancinante, il pourrait avoir dicté le choix des épisodes empruntés à l’Antiquité classique et à la mythologie grecque que l’artiste illustrera dès la fin des années 1840. C’est là que s’égrène tout un catalogue de poses, des plus débridées aux plus abandonnées, plus sensuelles encore de s’être coulées dans le moule froid de l’idiome académique.
L’étude poussée d’après le modèle vivant est au cœur de l’esthétique de Gleyre. Elle favorise le retour incessant à la confrontation avec la femme, sommée de s’exhiber « pour la bonne cause ». Voyeurisme ? Oui, s’il s’agit de dire qu’une tension érotique naît de l’exercice toujours reconduit d’une observation méticuleuse de l’objet du désir maintenu à bonne distance, dans la claire conscience que seuls le crayon ou le pinceau viendront le caresser.
Cette étude pour La danse des bacchantes (1849) prépare la figure tout à gauche du tableau, une femme vaincue par l’ivresse et qui gît au sol dans une complète nudité. Très poussée, elle est représentative du dessin de Gleyre où un puissant éclairage frontal repousse les tons sombres vers les côtés, permettant d’accentuer les lignes de contour. Gustave Courbet a-t-il pu voir le tableau achevé ou admirer cette feuille magistrale où ventre, seins et cuisses s’offrent au regard sans retenue ? Sa Femme au perroquet (1866, New York, Metropolitan Museum of Art) semble citer le motif presque littéralement, n’ajoutant qu’un oiseau qui vient se poser sur le bras levé.