Louis Ducros
Orage nocturne à Cefalù, vers 1800-1805

  • Louis Ducros (Moudon, 1748 - Lausanne, 1810)
  • Orage nocturne à Cefalù, vers 1800-1805
  • Aquarelle, gouache et huile sur sur papiers collés et encollés sur toile, 96 x 74 cm
  • Acquisition, 1816
  • Inv. 812
  • © Musée cantonal des Beaux Arts de Lausanne

Établi depuis presque vingt ans à Rome où il a acquis une grande renommée, Ducros est victime en 1793 des mesures prises par les États pontificaux à l’encontre des Français, soupçonnés de propager des idées révolutionnaires. Expulsé, il se rend dans les Abruzzes, puis à Naples où il demeure plusieurs années mais dont il sera aussi chassé comme jacobin. Après une escale à Malte, il rentre en 1807 en Suisse, son pays natal, et s’établit à Lausanne où il mourra en 1810.

Chef-d’œuvre de l’artiste, cet Orage nocturne à Cefalù est mystérieux à tous points de vue. Les circonstances de sa réalisation ne sont pas connues, pas plus que n’est attesté un séjour en Sicile à cette époque. Le paysage est partagé en quatre zones superposées : en bas l’eau déchaînée qui porte le bateau vers les récifs où il va se fracasser ; puis une haute falaise où un éclair fait exploser un bâtiment ; ensuite un château, sans que l’on sache s’il se situe dans un ciel imaginaire ou sur un autre promontoire ; enfin un stratus voilant un soleil rouge de sa masse sombre. Fortement composée par cette structure étagée et par les puissantes diagonales qui zèbrent la surface, l’œuvre éblouit par la maîtrise exceptionnelle de l’aquarelle : la transparence dans la zone du ciel, mais aussi les effets d’opacité obtenus par l’adjonction de gouache, d’huile et de laque. La palette est large, depuis les tons chauds des ocres pour les rochers jusqu’aux teintes froides du bleu de Prusse dans le ciel et la mer.

Solaire et néo-classique à débuts, l’œuvre de Ducros devient ici ténébreuse et pré-romantique, évoquant les univers de Johann Heinrich Füssli et de John Martin. S’y conjuguent l’influence des malheurs qui frappent l’artiste, le goût de sa clientèle britannique pour le sublime et le roman gothique, ainsi qu’une nouvelle sensibilité « météorologique » où le motif de la tempête en mer ou encore celui de l’éruption volcanique traduisent un sentiment d’insécurité partagé par tous au temps des guerres révolutionnaires.

Bibliographie

Jörg Zutter (dir.) et alii, Abraham-Louis-Rodolphe Ducros : un peintre suisse en Italie, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Milan, Skira, 1998, n° 57.

Pierre Chessex, A.L.R. Ducros (1748-1810). Paysages d’Italie à l’époque de Goethe, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Genève, Éditions du Tricorne, 1986, n° 86.

Federico Zeri, La percezione visiva dell’Italia e degli Italiani nella storia della pitura, Turin, Einaudi, 1976, fig. 96.