Louis Soutter
Souplesse, 1939

  • Louis Soutter (Morges, 1871 - Ballaigues, 1942)
  • Souplesse, 1939
  • Peinture au doigt sur papier, 44 x 58 cm
  • Acquisition 1957
  • Inv. 418
  • © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

Deux silhouettes échevelées traversent l’espace parallèlement au plan, de droite à gauche. De leurs pieds elles martèlent un rythme constamment répété ; de leurs bras elles engagent tout le corps dans une danse aux mouvements élémentaires. La mélodie de la musique qui les entraîne semble répétitive, son tempo invariable, son thème aussi insistant que celui du Boléro de Maurice Ravel. On croit assister à un rituel célébrant l’union de l’homme et du cosmos, à une cérémonie du sacre d’un printemps, ou à une fête du solstice d’un été. Plongés dans un état de transe, les danseurs paraissent avoir atteint une apothéose où leur ronde s’est accordée à celle des planètes que l’on voit tourner en orbite autour de leurs soleils.

Souplesse est une des œuvres les plus connues de Soutter (Morges, 1871 – Ballaigues, 1942). En plus du noir dans lequel il trace ses grandes silhouettes courant sur le blanc du papier, l’artiste, à la fin de sa vie, recourt fréquemment à des couleurs, essentiellement le jaune, le rouge et le bleu, parfois aussi le vert et l’orange comme ici. Ces tonalités vives relient entre elles les formes déjà peintes en noir, les renforcent en les cernant d’une ligne, et surtout les situent dans l’espace.

Les sujets dramatiques (crimes, avortements, crucifixion) abondent dans l’œuvre de Soutter après son internement à Ballaigues. Faisant écho à sa propre situation, ils racontent l’épopée d’une humanité chassée du paradis, qui avance dans l’obscurité, chargée du poids de sa culpabilité, guidée vers le néant par une pulsion funeste. Mais il est aussi des dessins et des peintures qui, comme Souplesse, expriment de manière presque euphorique la nostalgie de l’Éden perdu. Là, des hommes dansent et jouent, arrachés aux contingences du temps historique, en harmonie avec la nature et le cosmos. Une société se reforme qui traverse le monde sans l’abîmer de son empreinte. Un peuple vit loin des regards, et ne trahit sa présence que par des ombres portées sur le grand écran de l’univers.

Bibliographie

Hartwig Fischer (dir.), Louis Soutter (1871-1942), cat. exp. Bâle, Kunstmuseum Basel, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, Collection de l’art brut, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz Verlag, 2002, n° 170.

Michel Thévoz, Louis Soutter, Catalogue de l’œuvre, Lausanne, Éditions L’Âge d’Homme, Zurich, Institut suisse pour l’étude de l’art, 1976, n° 2636.