Guide de visite
La collection

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Voir ici ce qu’on ne voit pas ailleurs ! C’est dans cet esprit qu’a été conçu le parcours qui conduit les visiteurs à travers les salles d’exposition consacrées à la collection lausannoise. Depuis 1816, celle‑ci n’a cessé de s’enrichir au fil des ans grâce à des acquisitions, des dons, des legs et des dépôts. Tout en offrant des comparaisons avec les courants internationaux, le patrimoine réuni donne la mesure de la création des artistes d’origine vaudoise et plus largement suisse romande, qu’ils aient poursuivi leur carrière dans leur pays ou à l’étranger.

Quelques points forts se dégagent: le néo‑classicisme, l’académisme, le réalisme, le symbolisme et le post‑impressionnisme; la peinture abstraite en Europe et aux États‑Unis; l’art vidéo suisse et international; la nouvelle figuration; l’abstraction géométrique et, toutes périodes confondues, les pratiques artistiques attestant d’un engagement politique et social. On citera encore d’importants fonds monographiques, parmi lesquels ceux de Charles Gleyre, Félix Vallotton, Louis Soutter, Pierre Soulages ou encore Giuseppe Penone.

La visite se déroule sur deux étages. La sélection présentée évolue régulièrement. Des œuvres prêtées par des collections privées dialoguent avec celles de la collection cantonale, prélude au renouvellement constant du regard porté à Lausanne sur la formidable vitalité de l’art.

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1er étage

Salle 1
En route vers la modernité

Peinture religieuse

Dès le XIIe siècle, un sentiment nouveau se fait jour dans l’Europe pré‑renaissante: les artistes placent désormais l’être humain au centre du monde. La Bible et les évangiles apocryphes demeurent la source d’inspiration majeure. Les épisodes tendres de l’enfance de Marie et de Jésus se prêtent au rendu plus réaliste des expressions humaines, des paysages naturels et des architectures (FRANCESCO DA RIMINI, Cercle de PIETER COECKE VAN AELST). L’Ancien Testament inspire des compositions ambitieuses, traitées dans des grands formats. Dans le sillage du Caravage, l’École napolitaine recourt au clair‑obscur pour dramatiser les grands sujets moraux (ANDREA VACCARO, LUCA GIORDANO).

Portraits

Le portrait individuel envahit les arts dès la seconde moitié du XVIIe siècle. Dans la France de Louis XIV, les portraitistes s’attachent à traduire avec réalisme l’apparence physique, le rang social et les qualités distinctives de leurs modèles, qu’ils soient issus de la noblesse ou de la bourgeoisie (HYACINTHE RIGAUD). Les peintres, qui revendiquent désormais pour leur activité le statut d’art libéral, se représentent eux‑mêmes entourés de leurs attributs (NICOLAS DE LARGILLIERRE).

Exotisme

À la fin du XVIIIe siècle, de nombreux artistes suisses émigrent à Paris ou en Italie et rêvent de s’illustrer dans la peinture d’histoire. LOUIS et JACQUES SABLET s’établissent durablement à Rome. Écartés des commandes d’art religieux réservées aux artistes catholiques, ils se spécialisent, pour le premier dans des vues de grand format représentant des monuments antiques et des sites pittoresques, et pour le second dans des portraits de groupe en plein air et des scènes populaires. Une génération plus tard, CHARLES GLEYRE, après
une formation à Paris et un séjour à Rome, se rend en Orient où il accomplit un long périple qui le conduit de la Grèce jusqu’en Nubie.

De retour à Paris, il se consacre à la peinture d’histoire antiquisante, traçant un chemin singulier entre fougue romantique et rigueur académique. Il entame aussi une carrière d’enseignant, accueillant dans son atelier les futurs impressionnistes Monet, Renoir et Sisley.

Paysages

Dès les dernières années du XVIIIe siècle, le paysage accueille l’ex‑ pression d’une sensibilité météorologique qui traduit le sentiment d’insécurité dans lequel baignent les années de la Révolution française et des guerres napoléoniennes. La peinture de catastrophe, avec ses orages et ses éruptions volcaniques, mais aussi ses vastes territoires désolés, exprime à la fois la solitude de l’être humain et la grandeur sublime de la nature.

Peinture d’histoire

Le grand défi pour les artistes suisses réside dans l’invention d’une peinture d’histoire qui traduise l’élan d’indépendance et les idéaux démocratiques de leur pays, et qui participe à la construction d’une identité nationale moderne (JEAN-PIERRE SAINT-OURS, CHARLES GLEYRE).

Salle 2
Le triomphe du réalisme

Au XIXe siècle, la Suisse franchit pas à pas les étapes qui feront d’elle un État fédéral unifié. En l’absence d’une formation académique centralisée et d’un marché de l’art dynamique sur le sol national, ses artistes s’exilent souvent à l’étranger. C’est dans le paysage et dans la peinture de genre qu’ils vont affirmer leur singularité. Les Genevois FRANÇOIS DIDAY et ALEXANDRE CALAME sont les premiers à créer les prémisses d’un art helvétique avec la représentation de paysages typiquement suisses. Diday s’attaque aux hauts sommets alpins, dont il donne une vision monumentale et sublime, encore fortement empreinte de romantisme. Son élève Calame, influencé par la peinture hollandaise du XVIIe siècle, leur préfère les vues de moyenne altitude. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le triomphe du réalisme – du naturalisme à l’impressionnisme – permet aux Suisses de s’imposer au Salon parisien. Leurs œuvres s’attachent à la représentation des mœurs et des costumes des populations vivant à l’écart des métropoles, épargnées par la révolution industrielle qui fait disparaître les sociétés agraires et artisanales. EUGÈNE BURNAND Eugène et ERNEST BIÉLER traitent la peinture animalière et les scènes de genre dans le format monumental jusqu’alors réservé à la peinture d’histoire. FRÉDÉRIC ROUGE et ALBERT ANKER portraiturent les types sociaux et professionnels et s’intéressent au monde de l’enfance. L’École de Barbizon et les séjours en Suisse romande de Jean‑Baptiste Camille Corot et de GUSTAVE COURBET en exil à La Tour‑de‑Peilz exercent une grande influence sur la jeune génération qui se tourne vers le paysage intime. Adepte du pleinairisme atmosphérique, FRANÇOIS BOCION prend le lac Léman pour sujet principal, traquant inlassablement les jeux de la lumière solaire sur l’eau et le passage des nuages dans le ciel. Après une formation à Paris, il s’établit définitivement à Lausanne où il se crée une clientèle locale. Dans le domaine du portrait, l’impressionnisme invite à étudier des instants d’intimité en plein‑air ou dans les salons bourgeois. Le face‑à‑face avec le peintre se transforme en un moment de vérité, loin des conventions sociales. Les modèles sont montrés dans leurs attitudes familières, dans le repos, le loisir ou l’exercice de leurs activités quotidiennes (LOUISE BRESLAU, CHARLES GIRON). Tout comme le sculpteur belge CONSTANTIN MEUNIER qui traduit dans une veine réaliste la pénibilité du travail des ouvriers, le Suisse THÉOPHILE-ALEXANDRE STEINLEN met son art au service de ses convictions politiques et de son engagement dans la lutte contre les injustices sociales. Installé dans le quartier de Montmartre, il montre la vie diurne et nocturne du petit peuple parisien dont il se fait le porte‑voix.

Salle 3
Post‑impressionnisme

À la fin des années 1880, les impressionnistes (CLAUDE MONET) sont supplantés par une nouvelle génération d’artistes. Quantité de nouveaux styles et mouvements apparaissent dans cette période de transition qui précède les avant‑gardes du début du XXe siècle.

Le symbolisme, un mouvement d’amplitude européenne, envahit la littérature, la musique et les arts plastiques. Ennemis du matérialisme et de la pensée rationnelle, ses représentants se réfugient loin de la modernité, dans le rêve et l’idéal. Ils revisitent tous les genres traditionnels, qu’ils reformulent à travers le prisme de l’émotion individuelle et de la suggestion poétique. Le portrait se fait introspectif et s’intéresse aux états de conscience des individus, qu’il traduit par des symboles, des regards absents, des ambiances énigmatiques et mélancoliques (FERDINAND HODLER, AUGUSTO SARTORI). Le paysage se fait le miroir de l’âme et accueille ses projections, favorisant le songe et suggérant le mystère (EDMOND BILLE, ALEXANDRE PERRIER). Les mythes antiques sont le prétexte de nouvelles épopées dont les héros, tout à la fois austères et inquiets, incarnent la fragilité de l’être humain et la vanité de ses espérances (PLINIO NOMELLINI). Les Métamorphoses d’Ovide, les contes et les féeries sont à l’honneur: ils permettent de s’interroger sur la frontière qui se fait plus perméable entre le féminin et le masculin (ERNEST BIÉLER).

À la même époque, un style graphique s’impose sur la scène internationale, qui recourt jusque dans le portrait et le paysage à la planéité, à la synthèse, à la stylisation des formes, et aussi à l’organisation musicale des compositions. Les artistes nabis, sous l’influence de Paul Gauguin, ne considèrent plus le tableau comme une fenêtre ouverte sur le monde mais comme l’expression d’une vision, qu’ils traduisent par un assemblage de surfaces colorées, lisses et juxtaposées. Membre de ce groupe, FÉLIX VALLOTTON, dont les toiles de jeunesse retiennent l’influence de Hans Holbein et dévoilent déjà le regard critique porté sur la société contemporaine, adopte lui aussi cette nouvelle esthétique et, dans ses paysages, reste attaché jusqu’au début des années 1900 à la bidimensionnalité et à la construction par plans colorés.

Dans le domaine de la sculpture, AUGUSTE RODIN est l’innovateur le plus remarquable d’un art en pleine mutation, entre tradition classique et modernité. Tout entier tourné vers la figure, il en exalte le mouvement qui traduit l’idée et le sentiment. Ses héritiers, tel ÉMILE-ANTOINE BOURDELLE, franchissent un pas supplémentaire en travaillant avec des entailles, des anfractuosités, et des mutilations; le socle est intégré dans la conception du volume.

Salle 4
Des avant‑gardes aux années 1950

À Paris, ALICE BAILLY et GUSTAVE BUCHET sont confrontés à une scène artistique en pleine effervescence à la veille de la Première Guerre mondiale. Ils découvrent le cubisme et le futurisme et intègrent à leurs préoccupations la représentation du mouvement. Buchet poursuit sa quête dans le sillage des avant‑gardes sous l’égide du purisme d’Amédée Ozenfant et Le Corbusier, qui prônent un retour à l’ordre, à la rigueur et à l’épure.

Dans l’entre‑deux‑guerres, nombre d’artistes refusent la course des avant‑gardes vers l’abstraction et, habités par la nécessité d’un retour à l’humain, elles et ils réinterrogent la figuration. L’œuvre de maturité de FÉLIX VALLOTTION est au diapason du réalisme magique. Dans ses paysages, la lumière gagne en intensité, blafarde dans ses vues d’Honfleur, chaude à Cagnes et face à l’estuaire de la Seine, papillonnante dans les sous‑bois. Le rejet de l’expressionnisme est manifeste chez NIKLAUS STOECKLIN qui adopte la froideur critique de la Nouvelle Objectivité, et chez FÉLIX LABISSE, proche du surréalisme, qui met un style hyperréaliste au service d’un monde onirique. Le style de Balthus est ascétique lui aussi. De la rigidité des attitudes et de la vacuité des regards de ses modèles émane une sensation de malaise, que l’on retrouve dans les tableaux de FRANCIS GRUBER peints pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet artiste traduit la dure réalité de l’époque et de la condition humaine par une lumière froide, qui tombe sur des corps décharnés et figés dans des espaces oppressants.

Au même moment, ALBERTO GIACOMETTI s’empare de la figure pour restituer la vision qu’il en a. Saisir les caractéristiques physiques et psychiques s’avère un objectif impossible à atteindre. Faisant descendre la sculpture de son socle, il interroge son rapport avec le spectateur et l’espace. Élancés et frontaux, ses personnages, tels des morceaux de magma déchiqueté, sont faits d’une matière vigoureusement pétrie et creusée.

Comme Giacometti, JEAN DUBUFFET engage une confrontation physique avec les matériaux. Il charge ses toiles de couches épaisses qu’il vient ensuite gratter. À la recherche d’une nouvelle figuration, il recourt à des moyens sommaires, opte pour le tracé grossier et le dessin fruste qu’il admire dans l’art des autodidactes, des «primitifs» et des «fous». La rupture avec un langage codifié hérité de la tradition classique et l’exploration de nouvelles voies d’expression pour renouer avec le primordial est une démarche commune à de nombreux artistes dans la première moitié du XXe siècle. C’est celle de PAUL KLEE, en quête d’un langage universel remontant aux origines de l’humanité, et aussi de LOUIS SOUTTER qui, dans ses peintures au doigt, engage le mouvement de son corps dans des œuvres d’une force vibrante et d’une sensibilité toute poétique.

2e étage

Salle 5
Au seuil de l’abstraction : les années 1950

Après la Seconde Guerre mondiale, que ce soit en France ou aux États‑Unis, la peinture abstraite connaît des développements nouveaux, qui la distinguent de la géométrie caractéristique des pionnières et pionniers de l’abstraction (Kasimir Malevitch, František Kupka, Piet Mondrian, Sonia Delaunay, etc.). Différents noms, comme «peinture lyrique» ou «art informel», lui ont été donnés pour la décrire, sans réussir toutefois à englober la diversité des démarches. Par exemple, à Paris, MARIA HELENA VIEIRA DA SILVA propose une peinture allusive, dont la construction fragmentée évoque des architectures, tandis que PIERRE SOULAGES explore les effets de matière et de lumière avec divers outils, matériaux et supports. L’Europe attire aussi les peintres américain·e·s. En Italie, CY TWOMBLY développe une abstraction intime et érudite pétrie de références à l’antiquité. À Paris, BEAUFORD DELANEY expérimente les possibles d’une abstraction queer, à la fois fluide et lumineuse. L’élan du projet créatif lui‑même trouve son expression dans la liberté du geste pictural qui va jusqu’à la saturation de l’espace, comme en témoigne la toile de KIMBER SMITH.

Salle 6
Sortir du tableau : des années 1960 aux années 1970

Dès la fin des années 1960, la révolution sociale qui traverse l’Europe occidentale bouleverse le travail des artistes, impatient∙e∙s de se défaire des traditions qui pèsent sur l’art. La peinture est le premier médium à être touché, avec l’avènement du Pop Art qui emprunte ses sujets à une culture consumériste et urbaine. Les couleurs vives et les slogans renvoient aux publicités qui essaiment alors dans les villes (JANNIS KOUNELLIS, ÉMILIENNE FARNY). À Paris, les artistes du Nouveau Réalisme introduisent dans leurs œuvres des objets tirés du réel (DANIEL SPOERRI, DIETER ROTH). Inspirés par le courant Fluxus, d’autres artistes encore proclament l’équivalence entre l’art et la vie. Non sans humour, ils intègrent des gestes, des images et objets quotidiens dans leurs travaux et s’emparent de matériaux issus de l’industrie, tels que le néon, le phosphore ou encore le plastique (TADEUSZ KANTOR, JANOS URBAN). Parallèlement, l’art vidéo devient un champ d’expérimentation et de recherche visuelle: l’image en mouvement donne davantage de place au corps, outil de militantisme (VALIE EXPORT), tandis que le montage ouvre la voie aux jeux formels (JEAN OTTH, NAMJUNE PAIK).

Salle 7
L’espace au corps : les années 1980

Au cours des années 1980, s’affirme une tendance picturale et sculpturale qui s’oppose à l’austérité des pratiques minimales et conceptuelles de la décennie précédente, tout en étant aussi le fruit de l’histoire de la peinture du XXe siècle: le néo‑expressionnisme. En Allemagne et en Autriche, il est incarné par le groupe des Neue Wilde (Nouveaux Fauves); en Italie, par la Transavanguardia (Trans‑avant‑garde); aux États‑Unis, par la Bad Painting (Mauvaise peinture). Cette forme de figuration libre, âpre, exaltée, qui touche également la scène suisse, est le produit d’un geste violent et obstiné, aux prises avec l’image qui émerge dans un temps très court. Le dessin et la peinture perdent leurs qualités distinctives: fusain, encre, aquarelle ou acrylique, la technique est directe, sans esquisse préalable, et appliquée souvent à des supports de papier, comme chez MIRIAM CAHN, GÜNTHER BRUS ou encore BIRGIT JÜRGENSSEN. La feuille porte généralement le témoignage de l’artiste à l’œuvre (plis, froissures), entraînant son corps entier dans un moment intense et rapide de création. Si le corps ou sa trace est très présent, certain·e·s artistes recourent à une mythologie toute personnelle pour le signifier. Ainsi, HÉLÈNE DELPRAT adopte une figuration qui se réclame de figures totémiques dans ses toiles des années 1980, tandis qu’ALBERT OEHLEN s’approprie des motifs lourds d’associations dans une peinture gestuelle qui refuse toute contrainte technique.

Salle 8
Abstractions

Une fois dépouillés de toute référence au monde extérieur, les tableaux ne renvoient plus qu’à leurs propres formes et matérialité: c’est ce qu’OLIVIER MOSSET avait appelé, en 1969, le «degré zéro de la peinture». Créé près de vingt ans plus tard, son grand monochrome rouge manifeste cette absence d’événement. JOHN M ARMLEDER, associé au mouvement néo‑géo, élabore pour sa part des «sculptures d’ameublement» qui, avec humour, renvoient l’œuvre à sa finalité d’ornement de salon. C’est à la suite des réflexions de ces deux artistes sur le renouveau de l’art abstrait que s’instaure, dès les années 1980 et jusqu’à aujourd’hui, un intérêt marqué pour l’abstraction géométrique dans l’arc lémanique. Le geste personnel du créateur est alors remplacé par l’application uniforme de la couleur sur la toile, et la subjectivité, neutralisée par la géométrie des motifs, transparaît presque uniquement dans les choix formels. Si certain·e·s artistes renvoient à des anecdotes personnelles dans leurs œuvres (JEAN-LUC MANZ), d’autres travaillent selon un protocole préétabli (CLAUDIA COMTE) ou encore poursuivent une réflexion sur l’objet‑peinture et le caractère sculptural de la toile (PIERRE KELLER).

Salle 9 – 10
Reconquérir la scène

Au cours de l’histoire, nombreux sont les positionnements artistiques qui ont été marginalisés ou invisibilisés. C’est notamment le cas des pratiques dites « queer » qui tirent leur portée politique et leur force esthétique de l’histoire des communautés non normatives, sans pour autant constituer une catégorie stable et figée. Bien au contraire, en refusant de valoriser un système normatif marqué par la binarité, les artistes réuni·e·s dans ces salles placent le caractère fluctuant et pluriel de nos identités au cœur de leur réflexion. Par‑delà leur diversité, ces modes d’expression sont unis par la même volonté de reconquérir une visibilité. Intégrant souvent des éléments de design, le travail de TOM BURR s’intéresse à l’érosion de l’espace public et à notre situation de spectateur·ice face à un espace fantasmé. Les deux estrades se pré‑ sentent comme des espaces théâtraux vierges de (re)présentation et de démonstration, à la manière d’un décor en attente d’activation. Détournant avec humour la technique du trompe‑l’œil en y intégrant des fragments de corps, SARAH MARGNETTI interroge quant à elle la dimension politique de la sphère domestique et de son architecture. Les dynamiques complexes qui existent entre l’individuel et le collectif, le privé et le public, l’intérieur et l’extérieur se trouvent au cœur de ces stratégies de visibilité. Tandis que dans Haarzupfer, LUCIANO CASTELLI se présente sous les traits de son alter ego Lucille, NINA CHILDRESS, fascinée par les mécanismes de la célébrité et les images qu’elle génère, immortalise la silhouette androgyne du chanteur suisse Patrick Juvet dans une attitude de défi de laquelle émane une affirmation de soi. Parodiant le genre du biopic, l’élément performatif donne également corps à la série de dessins à dimension autobiographique de GUILLAUME PILLET.

Enfin, la pratique de PAULINE BOUDRY / RENATE LORENZ procède d’une «archéologie queer» pour faire ressurgir des figures drag oubliées, selon un principe de superposition d’images. Le film Normal Work est inspiré de photographies d’archives prises dans les années 1860 en Angleterre par Hannah Cullwick, une femme ayant travaillé toute sa vie comme domestique. Elle y pose en tenue de travail, mais aussi en «class drag» ou en «ethnic drag», à savoir dans les rôles tantôt d’une bourgeoise, tantôt d’une esclave noire. Rejoué par le performer Werner Hirsch, ce geste pose la question du franchissement des normes sociales, et, pour reprendre le titre d’un ouvrage de la philosophe Judith Butler, de la visibilité de «ces corps qui comptent.»

Salle 11 + 13
Les mots et les images

Le titre de ces salles est emprunté à René Magritte qui, en 1929, décrit dans un texte éponyme l’usage poétique qu’il fait des objets et de leur nom dans ses œuvres. Près d’un siècle plus tard, la formule du peintre surréaliste invite à mettre en lumière la diversité des vocabulaires formels développés par les artistes tout au long de leur carrière. Les œuvres présentées ici réunissent quelques uns de ces lexiques, proposent des mots pour traduire des pensées, ou encore jouent des illusions de la perception en transformant les formes et les significations. En introduction, les visiteuses et visiteurs traversent le «poème spatial» de RENÉE GREEN composé de bannières de couleur sur lesquelles se déploient les vers d’un poème écrit par Laura Riding au début des années 1930. Chez CHÉRIF et SILVIE DEFRAOUI, l’écriture, coupée horizontalement, devient ainsi signe et ornement, tandis que LOUISE NEVELSON combine des objets familiers pour leur donner une forme nouvelle, tout en neutralisant leur identité première en les recouvrant de peinture noire. Les certitudes surgissent puis se défont dans les anamorphoses de MARKUS RAETZ, un trouble qu’explore Giuseppe Penone dans ses œuvres qui analysent les mystères de la vision et de sa représentation. Enfin, WILLIAM KENTRIDGE réunit dans une série de sculptures un vocabulaire d’objets repris de ses œuvres précédentes. La subjectivité de l’artiste, ainsi confiée au regard des spectatrices et spectateurs, révèle son potentiel universel en créant, en quelque sorte, les éléments d’un langage.

Salle 12
Monuments

En 1982, Maya Lin, alors étudiante en architecture à l’Université de Yale, remporte le concours pour la réalisation du Monument pour les vétérans de la guerre du Vietnam, un mémorial en marbre noir en forme d’entaille dans le sol, contrepoint explicite à la verticalité triomphante de la statuaire de Washington et à sa blancheur. Dans son sillage, de nombreux artistes vont traduire la complexité des processus de mémoire et de leur représentation par des «anti‑monuments», mettant en avant l’absence, le vide, la perte, plutôt qu’un récit unifiant. On pense au Monument contre le fascisme d’Esther Shalev-Gerz et Jochen Gerz (Hambourg‑Harbourg, 1986‑1993), au Mémorial de la Shoah de Rachel Whiteread (Vienne, 2000), mais aussi à des œuvres réalisées non pas pour l’espace public, mais pour le musée. Ainsi Real Pictures (1995‑2007) d’Alfredo Jaar et Gurbet’s Diary de BANU CENNETOĞLU, mais aussi, dans une veine plus dystopique, Pacific Fiction – Study for a Monument de JULIAN CHARRIÈRE. Tous participent à leur manière d’une approche anti monumentale de la mémorialisation et rendent compte de la difficulté à donner une forme plastique à la commémoration de la violence comme aux grands drames de l’Histoire.

Publications en lien

Guide de la collection

Avec des textes de Bernard Fibicher, Catherine Lepdor, Camille Lévêque‑Claudet, Laurence Schmidlin, Nicole Schweizer et Camille de Alencastro, coédition MCBA, Lausanne / Scheidegger & Spiess, Zurich 2020, fr./angl., 248 p.

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Avec des textes de Gisèle Comte, Sandrine Moeschler, Laurence Schmidlin et Deborah Strebel, Coédition MCBA, Lausanne / La Joie de lire, Genève, fr, 92 p.

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