Alice Bailly
Ier Chant, 1918

Bailly fait la connaissance du mécène suisse allemand Werner Reinhart en juin 1918 à Genève, chez le peintre Alexandre Cingria. Fils d’un grand entrepreneur de Winterthour, frère du célèbre collectionneur Oskar Reinhart, Werner est discret, sensible, et d’une générosité sans bornes. Innombrables sont les artistes qui lui doivent leur survie pendant la période difficile de l’entre-deux-guerres. C’est lui qui met à disposition de C. F. Ramuz, Igor Stravinsky et René Auberjonois la somme nécessaire pour monter L’Histoire du soldat en 1918 ; lui qui, en 1921, achète pour Rainer Maria Rilke le château de Muzot, près de Sierre.

Pour Bailly, la rencontre se traduit par un coup de foudre. Elle exprime ses sentiments amoureux dans une série d’aquarelles, sept Chants, où elle déroule l’histoire de sa passion secrète. Les dessins sont commentés par des poèmes codés, aux lettres mélangées. Ils sont bel et bien destinés à Reinhart comme le révèle la lettre qu’elle lui adresse en juillet 1918 : « J’ai pour vous quelques nouvelles pages colorées que j’ai faites au gré du sentiment qui chante en moi ! […] Une force vivante, qui s’est révélée à soi-même, ne peut être contrainte au silence ! Mais ces pages, je les garderai ! Je ne sais, encore, si leur langage est celui que vous voudriez entendre. Nul être que vous, bien entendu, ne les verra ! Elles sont à vous, pour vous, et s’il vous plaisait un jour, cependant, de les avoir, demandez-les-moi simplement, je serais bien heureuse, dans ce cas, de vous les transmettre ! » Prudent, Reinhart ne les réclamera jamais.

Bailly pourra compter toute sa vie sur le soutien amical de Reinhart, qu’elle désignera comme son légataire universel et qui, après sa mort, sera le premier président de la Fondation Alice Bailly.