Théophile-Alexandre Steinlen
Les échappés de l’enfer II, 1917

  • Théophile-Alexandre Steinlen (Lausanne, 1859 - Paris, 1923)
  • Les échappés de l’enfer II, 1917
  • Eau-forte et aquatinte en noir sur papier, 49,3 x 59,7 cm, éd. 4/12
  • Ancienne collection Jacques Christophe. Acquisition avec le soutien de la Loterie Romande, de l’Association des Amis du Musée et de Pierre Gonset, 2008
  • Inv. 2008-060
  • © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

Steinlen est âgé de cinquante-cinq ans lorsque, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France et que le XXe siècle bascule dans l’horreur. Le conflit mondial se soldera par la mort de près de dix millions de soldats, presque autant de civils, la destruction des villes et des campagnes européennes. En réaction à ce désastre total, l’artiste va produire un immense œuvre de guerre. Convaincu qu’il faut atteindre le plus grand nombre de personnes, il réalise plus de deux cents estampes.

Steinlen est antimilitariste et socialiste. Il n’en contribue pas moins dans une partie de sa production à l’« Union sacrée », ce mouvement de rapprochement face à l’adversité, toutes tendances politiques confondues. Dans ses lithographies à grand tirage et à large diffusion, il exprime sa compassion pour les soldats (poilus en permission esseulés, départs au front dans les grandes gares) et sa solidarité avec les civils demeurés comme lui à Paris (files d’attente dans les magasins d’alimentation, familles dispersées, veuves et orphelins).

En parallèle, l’artiste réalise de somptueuses eaux-fortes, éditées à quelques épreuves seulement. Là, il dénonce la violence des affrontements, les soldats piégés sous les déflagrations d’obus, les rafales des mitrailleuses et les nuages de gaz moutarde. Il décrit la nuit dans laquelle sont plongés les hommes terrés dans les tranchées, condamnés à l’immobilité. Lorsqu’il grave ces Échappés de l’enfer, Steinlen – qui a sollicité une mission artistique aux armées dès 1916 – s’est rapproché du front deux fois déjà par ses propres moyens. Cette vision bouleversante s’inspire sans doute aussi des photographies de la presse illustrée. L’artiste adopte une veine nocturne et rembranesque pour montrer les survivants sortis du charnier et portés à dos d’homme par leurs camarades. La référence explicite à la représentation traditionnelle de la mise au tombeau du Christ au premier plan confère une portée universelle à cette scène de transport des corps martyrisés.

Bibliographie

Claire Garnier et Laurent Le Bon (dir.), 1917, cat. exp. Metz, Centre Pompidou, Éditions du Centre Pompidou-Metz, 2012, p. 270-271.

Philippe Kaenel, avec la collaboration de Catherine Lepdor, Théophile-Alexandre Steinlen, l’œil de la rue, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Ixelles, Musée communal d’Ixelles, Milan, 5 Continents Editions, 2008, fig. 216.

Jacques Christophe, Théophile-Alexandre Steinlen. L’œuvre de guerre (Œuvre graphique de 1914 à 1920), Aléas, Lyon, 1999, tome 1, n° 179.