Théophile-Alexandre Steinlen
Guerre à la guerre, entre 1916 et 1920

  • Théophile-Alexandre Steinlen (Lausanne, 1859 - Paris, 1923)
  • Guerre à la guerre, entre 1916 et 1920
  • Crayons bleu, gris et rouge sur papier, 48,1 x 63,2 cm
  • Donation de Paul et Tina Stohler, 2018
  • Inv. 2018-043
  • © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

Ce dessin est une reformulation poignante de deux œuvres qui inspirent Steinlen tout au long de sa vie : La Liberté guidant le peuple du peintre Eugène Delacroix (1830, Paris, Musée du Louvre) et La Marseillaise du sculpteur François Rude (1833-1836, Paris, Arc de Triomphe). Ces deux icônes du romantisme français ont en commun de montrer une allégorie féminine coiffée du bonnet phrygien qui, armée, entraîne le peuple vers la victoire. Dès la fin des années 1890, Steinlen s’en inspire pour développer une iconographie de l’humanité en lutte contre le capitalisme.

Au début de la Première Guerre mondiale, l’antimilitarisme viscéral de l’artiste est mis à rude épreuve. Steinlen apporte son soutien au moral des troupes, voire, après les atrocités commises lors l’invasion de la Belgique et de la Serbie, participe à l’antigermanisme ambiant. La Libératrice prend alors de nouvelles apparences. Dans La Marseillaise, une eau-forte de 1915, elle vole dans le ciel de Paris pour guider la foule qui envahit les rues pavoisées. Dans La Poilue, une lithographie de 1916, nue et menaçante, les cheveux au vent, elle incarne la résistance à l’envahisseur.

Avec Guerre à la guerre, Steinlen revient à son pacifisme radical. Il ne s’agit plus de vaincre l’ennemi allemand, mais de combattre la guerre elle-même où, écrit-il en 1916, « des millions d’hommes […] crèvent comme de misérables bêtes ». Ces victimes, l’artiste les montre ici comme un amas de cadavres empilés, un charnier où l’on distingue des enfants, des corps éventrés, un homme crucifié sur une porte. À gauche, des femmes supplient La Libératrice transformée en une « Germania » de mettre un terme aux crimes féroces perpétrés contre les civils. Le crayon bleu de Steinlen atteint la virulence du burin de Goya dans sa suite gravée des Désastres de la guerre (1810-1815).

Bibliographie

Philippe Kaenel, avec la collaboration de Catherine Lepdor, Théophile-Alexandre Steinlen, l’œil de la rue, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Ixelles, Musée communal d’Ixelles, Milan, 5 Continents Editions, 2008, fig. 226.

Jacques Christophe, Théophile-Alexandre Steinlen. L’Œuvre de guerre (œuvre graphique de 1914 à 1920), Lyon, Aléas, 1999, 2 tomes.