Bibliographie
Julie Borgeaud (dir.), Louis Soutter. Le tremblement de la modernité, cat. exp. Paris, La Maison Rouge, Fondation Antoine de Galbert, Lyon, Fage, 2012, p. 89.
Hartwig Fischer (dir.), Louis Soutter (1871-1942), cat. exp. Bâle, Kunstmuseum Basel, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, Collection de l’art brut, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz Verlag, 2002, n° 116.
Michel Thévoz, Louis Soutter. Catalogue de l’œuvre, Lausanne, L’Âge d’Homme, Zurich, Institut suisse pour l’étude de l’art, 1976, n° 2392.
À Ballaigues où il est interné, Soutter souffre cruellement des bornes étroites entre lesquelles son existence se déroule. Il s’impose une vie ascétique, pratique le jeûne et la marche forcée. Il s’évade par l’imagination, échafaudant mille plans pour reconquérir son autonomie : « Je veux rentrer dans la vie de tous […] et gagner avec ma musique et mes dessins mon honnête subsistance », écrit-il à son frère vers 1924. La rencontre avec son cousin Le Corbusier, vers 1927, qui se déclare ébloui par ses dessins, lui consacre un article dans la revue d’avant-garde Minotaure en 1936, et organise une exposition de ses œuvres aux États-Unis, sera déterminante. Avec l’attention que vont lui porter bientôt un petit cercle d’amis (Yvonne Walter-du Martheray), des peintres (René Auberjonois, Marcel Poncet), des écrivains (Jean Giono, C. F. Ramuz), des éditeurs (Henry-Louis Mermod) et des galeristes lausannois (Claude et Maxime Vallotton), Soutter reprend confiance et sa création en subit une évolution sensible.
Les œuvres réalisées par Soutter à cette époque sont dites « maniéristes ». Elles se caractérisent par une expressivité nouvelle et par des distorsions formelles. L’artiste dessine à l’encre de Chine, désormais sur des feuilles de plus grand format. Où sont nos sens ? appartient à une série peuplée de créatures séductrices et souffrantes, inspirées des résidents observés à l’asile. Soutter les appelle les « Sans Dieu » : « […] des êtres douloureux, une caste pure, surélevée par le mal torturant de l’isolement. » Les femmes sont nues, parées seulement d’un collier et d’une immense chevelure ; elles montrent leurs dents et leurs lèvres fardées ; leurs mains tour à tour cachent ou caressent leur sexe ; elles prennent des poses lascives ; elles aguichent les hommes qui rivalisent pour attirer leur attention. À Ballaigues, ces dessins qui disent la solitude affective et la détresse sexuelle de l’artiste vaudront à Soutter le surnom de « fou pornographe ».