Bibliographie
Anne-Marie Bouchard, « L’expérience individuelle d’une image reproduite massivement. L’illustration de la presse et la réalisation du monde », textimage. Revue d’étude du dialogue texte-image, octobre 2012 (publication en ligne).
Christophe Charle, Naissance des « intellectuels », 1880-1900, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990.
Vallotton se fait connaître dans les années 1890 par ses bois gravés, mais aussi par ses dessins pour la presse illustrée, un secteur d’activité en plein essor. L’artiste suisse établi à Paris débute dans ce domaine en 1894, au Rire, au Courrier français, et surtout à La Revue blanche, dont il sera l’illustrateur attitré jusqu’en 1902.
Le Cri de Paris est un hebdomadaire de seize pages imprimé en noir dont Vallotton occupera la couverture plus de septante fois. Il est lancé en 1897 comme une sorte de petit frère de La Revue blanche, pour « combattre les abus » de toutes sortes, sur le terrain politique et par la satire. Dès le départ, le ton est donné avec des prises de position anticolonialistes. Mais le combat le plus acharné du magazine est celui en faveur de la révision du procès du capitaine Alfred Dreyfus, une affaire qui agite la France des années durant, et sera l’occasion de prises de position qui contribueront à l’émergence de la figure de l’intellectuel et de l’artiste engagé dans sa définition moderne.
Il faut voir dans ce dessin (aquarellé ultérieurement par l’artiste) qui paraît en couverture du Cri de Paris le 23 janvier 1898 une réaction de soutien à chaud au J’accuse d’Émile Zola. Dans ce pamphlet publié par L’Aurore dix jours plus tôt, l’écrivain accusait les militaires d’avoir commis un crime de « lèse-justice », mais aussi d’antisémitisme, en condamnant Dreyfus à l’emprisonnement pour trahison. L’âge du papier met l’accent sur le pouvoir de la presse que Vallotton – qui l’utilise – traduit par un flot de journaux déployés (L’Aurore, Le Temps, Le Journal et Le Soir), lus à la table des cafés et vendus à la criée dans la rue. Le papier du dessinateur se transforme ici littéralement en papier journal. Le cadrage très serré organise en une marée de protestations les pages imprimées qui semblent se multiplier à l’infini. L’âge du papier proclame aussi l’avènement du dessinateur de presse !